Entretien avec Abdelatif LAAMRANI, avocat aux Barreaux de Casablanca, Paris et Montréal, et fondateur du cabinet LAAMRANI Law Firm, spécialisé en droit des affaires

Vous avez fondé le cabinet LAAMRANI Law Firm en 2012, quel a été votre parcours jusqu’ici ?
J’ai eu plusieurs anciennes vies, si je puis dire, j’ai été successivement (pour m’en tenir à l’essentiel) : banquier, assureur et directeur juridique de plusieurs grandes multinationales et holdings nationales et internationales, avant de m’installer à mon propre compte en tant qu’avocat, d’abord à Casablanca et ensuite à Paris et à Montréal.
Je suis natif d’Auxerre en France. J’ai grandi à Meknès au Maroc, où j’ai obtenu une licence en droit privé de la Faculté de droit qui venait d’y ouvrir ses portes. j’ai obtenu ensuite un DESS en droit des assurances de l’Université Hassan II de Casablanca. En parallèle avec cette formation j’ai travaillé en tant que régleur de sinistres dans des compagnies d’assurance.
Ensuite, je me suis envolé pour le Canada, ai obtenu un Mastère en droit des affaires internationales à l’Université de Montréal, une licence de courtage en assurance de l’Autorité des marchés financiers (AMF) du Québec et exercé en tant que courtier d’assurance.


Après cette expérience dans le secteur des assurances, j’ai découvert le monde de la banque, en intégrant la première banque canadienne BMD (Banque de Montréal), en tant que directeur des services bancaires et financiers et ensuite en tant que directeur en charge des prêts hypothécaires.
En 2007, je rebrousse chemin au Maroc. Je travaille en tant que directeur juridique pour le compte d’un groupe dans la promotion immobilière, ensuite pour le compte de la holding royale. Et enfin en tant que directeur juridique dans les domaines du transport et celui du Green Business.
En 2010, je m’inscris à l’Université Paris-1 Panthéon Sorbonne, à l’ISCAE à Casablanca et à l’ESSEC à Paris.
J’obtiens un doctorat en droit public de la Sorbonne (en 2015), un Mastère en gestion des villes et des territoires de l’ISCAE (en 2012) et un Mastère en management public de l’ESSEC (en 2013).
Par rapport à l’exercice de la profession d’avocat et quoique j’avais obtenu mon premier certificat d’aptitude à l’exercice de la profession d’avocat (CAPA) en 1998, n’était pas partisan de la facilité, je n’avais pas exercé tout de suite. Mais ce n’était que partie remise, puisqu’en 2012, je réussi à nouveau l’examen d’accès à la profession d’avocat, décroche le CAPA et m’inscris en stage. Une fois inscrit au tableau de l’ordre de Casablanca officiellement, je m’envole pour Paris où je prépare l’examen d’accès à la profession d’avocat, que je réussis le 18 Avril 2018 qui est la date de mon anniversaire ! Je ne m’arrête pas en si bon chemin, puisque je reviens à Montréal où je réussis l’examen d’équivalence et j’y prête serment, en tant qu’avocat au Barreau du Québec, en Novembre de le même année.

 » Au Maroc, quoique notre pratique est largement multidisciplinaire, l’ADN de notre cabinet se traduit par une tendance naturelle de spécialisation en droit bancaire et financier ainsi qu’en droit des assurances et réassurance « 

Quelle est l’histoire de votre cabinet et quels sont les domaines d’expertise proposés ?
C’est l’histoire d’un rêve devenu réalité. Une vision de plus en plus claire que j’ai réalisé, inlassablement et progressivement. D’un cabinet d’avocats généraliste à portefeuille réduit, à un cabinet d’avocats d’affaire à rayonnement international, avec trois antennes, dans trois continents et des partenariats importants avec des cabinets de premier plan, en Afrique et en Moyen-Orient.
Nous sommes aujourd’hui organisés en 3 départements : Contentieux/ADR, Consulting et contrats et Lobbying. Nous représentons des organismes financiers internationaux comme la Banque mondiale, la SFI et l’USAID. Au Maroc, quoique notre pratique est largement multidisciplinaire, l’ADN de notre cabinet se traduit par une tendance naturelle de spécialisation en droit bancaire et financier ainsi qu’en droit des assurances et de réassurance.
Sur le plan national, nous représentons le intérêts des grandes firmes minières et industrielles, des franchise, des banques et des compagnies d’assurance et de réassurance, entre autres. Nos avocats prodiguent des conseils et assurent un accompagnement en matière de M&A et restructuration des entreprises, financement des infrastructures et PPP, droit portuaire et maritime, etc. Et nous avons mené plusieurs procédures d’arbitrage soit en tant qu’arbitre unique, soit en tant que membre d’un collège arbitral, dans des domaines aussi variés que les marchés publics, la gestion des infrastructures, etc.

Quelles sont vos perspectives de développement ?
Afin de pouvoir offrir les services juridiques les plus adaptés à nos clients internationaux, nous sommes aujourd’hui en phase avancée de pourparlers pour la conclusion d’une alliance avec une firme nord-américaine, leader mondiale dans le marché du droit des affaires internationales.

Nous nous positionnerons de plus en plus sur des dossiers de conseil et d’accompagnement d’emprunteurs publics en matière de financements internationaux, et de leur restructuration, le cas échéant.

Vous êtes admis à exercer dans trois Barreaux, au Maroc, en France et au Canada.
Que vous apporte cette « triple casquette », cette spécificité de votre formation ?
En effet, c’est le couronnement de tout un parcours, comme je le rappelai plus haut, quoique je n’aime pas cette expression. Alors, disons que c’est le résultat d’un parcours inusité, non encore achevé. Cette triple admission traduit aujourd’hui notre capacité à assister nos clients internationaux, dans un mondes qui ne connaît plus de frontières. Nous le servons tout d’abord par notre maîtrise des deux traditions juridiques que sont la tradition civiliste française et la common law anglosaxonne. Mais aussi par l’adaptabilité, l’ouverture d’esprit et l’empathie que procure ce multiculturalisme.

Vous êtes l’auteur d’un manuel de  » Droit bancaire marocain » publié aux éditons LexisNexis en janvier 2023.
Pourriez-vous nous présenter les grandes lignes de cet ouvrage ?
À quel public s’adresse-t-il ?
Dans cet ouvrage novateur, j’ai voulu présenter aux lecteurs, qu’ils soient des professionnels de la banque, des régulateurs, des juges, des avocats, des étudiants ou des enseignants, le droit bancaire au Maroc, de manière très laconique. Le fait qu’il soit à jour des dernières réformes de la banque (crowdfunding, banques participatives, cryptoactifs, moyens de paiement électroniques/numériques, etc.), le positionne aujourd’hui comme un manuel de référence unique, pour tous les praticiens et les consommateurs de la banque de notre pays.
J’y ai traité les établissements de crédit, les organismes assimilés, les sociétés de financement, les établissements de paiement, …tout en scrutant les conditions d’exercice du métier de banquier, de l’obtention d’agrément de Bank Al-Maghrib aux conditions de fonctionnement, de contrôle et de régulation de ces institutions. J’y ai étudié aussi les autres organismes de régulation, de coordination et de concertation, tels que les associations professionnelles notamment, le GPBM, l’APSF, l’APEP, etc. J’ai réservé un pan important à la Banque centrale, son historique, son rôle, son fonctionnement et ses prérogatives actuelles.
Dans le cadre de l’étude des mécanismes juridiques des opérations bancaires, l’accent a été mis sur tous les services que peuvent prodiguer les banques à leurs clients : ouverture et gestion de comptes, octroi de crédit, moyens de paiement. La légalisation et toute la réglementation régissant ces trois sphères ont été passées au peigne fin, afin de ressortir les éléments des contrats, les droits et obligations des parties et les devoirs du banquier dans le cadre de sa responsabilité bancaire, le cas échéant. Pour le crédit, une topologie variée d’emprunt a été étudiée. Concernant les moyens de paiement, tous les moyens de paiement ont été passés en revue : carte bancaire, virement, chèque, monnaie électronique, avec un accent sur l’émergence de nouveaux modes de paiement comme les cryptoactifs ou aujourd’hui les cryptomonnaies de banque centrale (CMBC).
Enfin, en innovant par rapport aux manuels de droit bancaire classique, l’analyse a été étendue à l’emprunt souverain, que nous avons considéré comme une transaction bancaire internationale « souveraine », versus les transactions bancaires internationales « privée » que sont les préfinancement, l’affacturage international, le crédit documentaire et les garanties autonomes.
Dans le cadre du crédit souverain, nous l’avons  définit et avons passé en revue ses acteurs : les prêteurs (Banque mondiale, FMI) ainsi que tous les bailleurs de fonds régionaux, etc. Nous avons ensuite exposé les conditions et clauses essentielles des contrats de prêt souverain et dans une deuxième partie, traité la problématique du défaut souverain et envisagé quelques solutions possibles.

Quelle part de votre temps consacrez-vous à l’écriture ?
La rédaction du « Droit bancaire marocain » a été le fruit de la conjonction de deux contraintes que j’ai transformée en opportunité : je devais dispenser le cours de droit bancaire et financier aux étudiants du Mastère en droit des affaires de la Faculté de droit de Casablanca. il fallait théoriser la discipline sous forme de module pédagogique, regroupant les thématiques traditionnelles du droit bancaire  avec l’œil du praticien que je suis. Ensuite, la rédaction à proprement parler a eu lieu pendant les longs mois du confinement…
Mais, d’habitude, j’essaye de m’astreindre à écrire chaque jour quelques pages. Il faut dire que la majeure partie de mes publications juridiques a été inspirée par des questions soit d’actualité, soit posées par mes clients. Et comme j’ai toujours aimé l’exercice de la dissertation juridique à l’ancienne, cela donne in style simple, lisible et attrayant à ces écrits. Car tout écrit est, par définition, intemporel, il nous suivra, quelque soit sa qualité,  ne dit-on pas que les écrits restent et parole s’envolent ?

Pourriez-vous faire un point sur les dernières actualités juridiques du secteur bancaire et financier au Maroc, notamment évoquer le projet de loi encadrant l’usage des cryptomonnaies, transmis il y a quelques mois au ministère de l’Économe et des Finances, à l’AMMC et à l’ACAPS ?
Le projet de loi a fait l’objet d’une première consultation courant du mois de mai 2023 auprès de différentes parties prenantes nationales comprenant notamment les autorités gouvernementales, les acteurs bancaires et financiers et les représentants de Fintech.
Cette consultation a permis de susciter des discussion et des débats autour de l’usage et la régulation des cryptoactifs au plan national et international. Elle a permis de recueillir les avis des secteurs public et privé sur les principaux apport du projet de loi et de mieux cerner les attentes de l’écosystème du numérique et de la Fintech à cet égard.
Le projet de loi fait actuellement l’objet  de discussion au sein du groupe de travail pour adresser des sujets qui doivent être approfondis d’avantage, notamment ce qui concerne les gestions de réglementation de charge, la conformité à la Recommandation 15  amendée du GAFI (qui exige que les prestataires de services d’actifs virtuels [PSAV] soient réglementés aux fin de la lutte contre le blanchiment de capitaux et financement du terrorisme [LBC/FT], qu’ils aient une autorisation d’exercer ou soient inscrits à un registre, et soumis à des systèmes de surveillance et de contrôle efficace) ainsi que le régime des sanctions et des embargos.
À l’échelle internationale, le G20, sous la présidence indienne, s’est emparé de la question  de régulation des cryptoactifs. Il a examiné, lors de sa réunion des 9 et 10 septembre 2023, le rapport conjoint FMI-FSB sur le sujet et discutera lors des assemblées annuelles de la Banque mondiale et du FMI, qui se tiennent fin septembre à  Marrakech, de la suite à donner à la feuille de route proposée et à ce rapport.
Une fois stabilisé, tenant compte de toutes ces préoccupations et des résolutions de ces travaux, le projet de loi sera introduit par le Gouvernement dans le circuit d’adoption législatif.

Comment devrait évoluer, selon vous, le métier d’avocat à l’ère du numérique et quel regard portez-vous sur l’intelligence artificielle ?
Comment influence-t-elle votre pratique d’avocats d’affaires ?
L’envisagez-vous comme une menace ou bien une opportunité ?
C’est une question à la fois existentialiste et consubstantielle avec la profession d’avocat et son avenir. Qu’on le veuille ou pas, nous vivons aujourd’hui dans un monde post-numérique, qui prépare le règne de l’intelligence artificielle.
Cette formidable transformation (ou disruption comme l’appellent les initiés) devrait affecter tous les aspects de la vie humaine. L’une des conséquences les plus paradoxales de cette transformation est la « publicisation » de ce qui a été « privé » et la « privatisation » de ce qui a été « public ». À titre d’exemple, nos vies ne sont plus privées, elles sont tantôt épiées, tantôt contrôlées, par les gouvernements, par les tiers et par les médias. Alors que l’eau, les relations sociales et bientôt l’air sont de plus en plus privatisés. On assiste à un changement drastique de paradigme : l’homme post-numérique ne mène plus sa vie comme le faisaient ses ancêtres.
La profession d’avocat, elle, reste foncièrement liée à un système de valeurs traditionnels et coutumier que l’on appelle l’éthique de la déontologie de l’avocat. Ce dernier doit exercer son métier avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité, dans le respect des termes de son serment. Et ce, aussi bien pour l’avocat pénaliste que pour l’avocat d’affaires. La seule façon de limiter les dangers de cette transformation numérique et d’y faire face avec la science c’est d’y être puissant et innovant, en faisant évoluer la législation sur la profession d’avocat et en faisant preuve de résilience positive face à toutes ces transformations.

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes juriste qui commencent leur carrière ?
Je leur rappellerais le vers de René Char :

 » Impose ta chance, serre ton bonheur et vas vers ton risque. À te regarder, ils s’habitueront « .